La modeste cité des Hommes de Bëor n'avait pas bonne mine. En fait, il était même pathétique de voir toutes ces familles écorchées vives qui tentaient désespérément de mettre du pain sur la table, de labourer les champs et de maitenir les chevaux en selle. Certes, le Beleriand avait toujours été rude pour les Seconds Nés, mais les dernières années s'étaient montrées impitoyables. La Bataille du Dorthonion avait porté le coup de grâce. Ou presque.

Des éclaireurs étaient venus trouver Beren dans la maison longue du grand chef des Hommes de Bëor. Ce dernier, les deux bras bien planter dans une longue carte, planifiait une prochaine expédition vers le nord, convaincu que certains de ses hommes attendaient toujours d'être rescapés. Si les Puissances dont les Elfes parlaient existaient toujours, il y avait encore espoir que le seigneur de la pluie ou la dame des bois maintenaient ses frères en vie, au milieu de la cendre et de la fange. Or, ce n'était pas des nouvelles du haut plateau montagneux que ses éclaireurs apportaient aujourd'hui.

- Mon seigneur ! Plusieurs de nos hommes prétendent avoir vu des lueurs dans les bois de Nan Elmoth ! Certains disent que le Forgeron y est revenu ! Que son fantôme a réinvesti son ancienne forge !

D'un sourire aimant, mais teinté d'une fatigue que des enfantillages n'aideraient pas, leur meneur répondit:

- Le Beleriand habrite des dizaines de Maisons elfiques, des Elfes d'innombrables tribus, en plus de créatures qui n'ont même pas encore de nom dans la langue de notre peuple...

Ses hommes le dévisagèrent, mais il poursuivit quand même vû qu'ils n'étaient visiblement pas convaincus.

- Mes frères, certains d'entre nous sont encore coincés en Dorthonion et prient peut-être chaque jour que nous leur venions en aide. Les Orcs...

Il prit une longue pause et constata l'innocence et la peur sur le visage de deux sentinelles qui n'avaient fait que leur travail aujourd'hui.

- ...Je n'enverrai pas plus d'une douzaine d'hommes à Nan Elmoth, une douzaine ! Pas tant que nos frères sont entre les griffes de Morgoth. Allez chercher de l'aide à Doriath, à Himring ou chez les Nains s'il le faut, mais je ne veux rien savoir de cette forêt avant la prochaine lune !

Les deux gaillards échangèrent un regard inspiré, s'inclinèrent et disparurent dans les rues bouetteuses de la dernière maison de Bëor.