Des colombes s’attroupaient sur le bord des grandes fenêtres de marbre, comme des sentinelles qui gardaient bien en vue chacune des tours de Gondolin, la verte Tumladen et les Crissaegrim où leur monde se terminait. Dans son grand fauteuil dont les teintes étaient celles de la Taupe, Maeglin les regardait et perçait de son regard le voile qui séparaient leurs peuples respectifs. Qu’est-ce que leur esprit recherchait ? Souhaitait-il, comme celui du protégé de Turgon, revoir un jour le crépuscule qui s’affaissait sur la forêt ? Non, car ces dernières n’avaient aucune idée de ce qu’était le monde en dehors de cet anneau montagneux et des terres promises qu’il gardait jalousement. Or, lui, Maeglin fils d’Ëol, avait goûté aux libertés d’une autre vie. Jadis…

- Un message d’un informateur secret m’est parvenu hier, mellon nîn.

Maeglin soutenait son regard dans l’immensité, alors qu’il s’adressait à son confident et protecteur à ses côtés. C’était un de ces moments de quiétude où les deux Eldar passaient de longues heures à écouter la poésie de la voix de l’un et de l’autre. Le murmure lointain du centre de Gondolin n’était qu’une rumeur cristalline pour ces deux philosophes dans leur perchoir. Ce jour-là, il y avait une pesanteur dans la voix du jeune homme qui n’arrivait pas à étouffer la colère et la tristesse de son cœur.

- Ils profanent la demeure de mon père, Araekin…

Son poing s’était serré un instant, puis, une longue respiration coupa l’air en deux. Ses muscles se détendirent et, le visage emplit de requêtes, il trouva le regard de son compagnon.

- Pourquoi ?! Pourquoi violer ce qu’il reste de lui ainsi ? …

Une bien sinistre chanson résonnait dans sa voix.

- Thingol est sans honneur. Ces terres avaient été cédées ! Je sais que c’est lui !

Les colombes déguerpirent quand Maeglin haussa le ton. Si l’Elnath de la Maison de la Taupe était un fin diplomate, il avait tout de fois conservé la fougue sauvage des Sindar et surtout celle d’Ëol l’Elfe Noir.

Sans la moindre émotion, il parla comme on énonce un commandement.

- Ils en ont après ses travaux.

Il y avait quelque chose dans la voix de son compagnon qui arrivait toujours à calmer les vagues à la surface. Quelque chose qui permettait à la température de diminuer le temps d’une inspiration ou deux. En profondeur, cependant, une obscurité était bien là, toujours.

Ainsi, Araekin voulait quitter Gondolin et semblait vouloir le faire avec hâte. Un frisson parcourut l’échine de Maeglin, qui n’avait pas humé l’air de ces anciennes contrées depuis longtemps. Il était un peu comme un oiseau en cage depuis tellement longtemps qui refusait de s’envoler même la porte grande ouverte. Toutefois, quelque chose lui murmurait à l’oreille d’aller au-delà des limites imposées par son oncle, qui, de toute façon, ne comprendrait jamais rien à sa vie. Après tout, Turgon n’était pas son père et ne se douterait de rien s’il partait avec Araekin.

Maeglin se mit à penser aux grandes portes de Tumladen, aux tunnels qu’ils emprunteraient, aux sons que seuls les habitants des profondeurs de la terre entendaient. Il sentirait la pierre humide sous ses doigts, puis verraient finalement l’herbe de l’autre côté des montagnes. Araekin et lui emprunteraient les chemins que sa mère et lui avait jadis foulés. Il y avait quelque chose de terrible dans cette aventure, mais aussi une forme de contact avec sa famille. Une sorte de retour aux sources.

Il avait écouté le discours rassurant de son ami, qui, n’avait visiblement aucune insécurité vis-à-vis le périple qu’il proposait. Maeglin se surprit à observer chacune des parcelles du corps de son protecteur, comment il était vêtu et à quel point tout chez lui était différent du fils d’Aredhel. Araekin était un astre brillant, alors que le reflet de Maeglin dans la glace montrait un fauve dans la nuit, le visage que les étoiles caressaient.

- Mon informateur a fait très vite, car aiguisé est le discernement des membres de la Maison du Roi. Mon homme risquait beaucoup en me rapportant ces informations.

Maeglin se fit pensif en tentant de retrouver les détails.

- Les edain d’Estolad maintiennent une surveillance de la forêt. Ils pourraient être à la source de cette…intrusion.

Il y avait de la colère dans ces paroles, bien qu’il essayât d’être objectif et factuel.

- Il m’a aussi rapporté que la garde de Doriath a agrandi son territoire de patrouille autour du royaume. On aperçoit des sentinelles bien au-delà de l’Anneau.

Maeglin se faisait inquiet et confus.

- Araekin… Le seul passage direct vers Nan Elmoth, qui ne nous délayera pas de plusieurs semaines, est celui qui longe la frontière nord de Doriath, aux abords de Nan Dungortheb…

Il y eut une pause, car le confort de Gondolin se fit soudainement précieux, mais lointain déjà.

- Nous risquons d’être capturés par les patrouilleurs. Aussi Araekin, nous passerons très près de cette horrible vallée.